Le hard rock aurait-il une influence sur la pédagogie ? C’est la question que s’est posée un adhérent du SNALC. Fatigué par le bruit de ses classes, il s’était vu répondre par un collègue : « On n’est plus comme il y a trente ans ! » Notre adhérent a alors été pris d’un doute : était-il encore apte à enseigner ? Lors d’une formation, il avait déjà entendu, de la part d’un inspecteur : « On ne peut plus enseigner comme avant…Les élèves ont besoin d’être constamment actifs dans le processus du cours, qu’ils parlent, qu’il y ait du bruit pédagogique ! ». Cet inspecteur aurait presque pu reprendre à son compte la phrase du guitariste de hard rock Ted Nugent : « Si c’est trop fort, c’est que vous êtes trop vieux ! ».
On ne discutera pas ici du goût pour les salles de concert bruyantes, mais pour le SNALC, un cours n’est pas moins profitable sans que des élèves s’interpellent à travers la salle ou interrompent l’enseignant à chaque phrase.
Non, le SNALC ne prétend pas que seul le cours magistral est valable – encore moins la caricature qu’on en fait : un professeur seul à parler dans un silence de crypte obtenu à coups de règle. C’est précisément parce qu’il défend la liberté pédagogique – inscrite dans le Code de l’éducation, article L912-1-1 – que le SNALC lui a consacré un dossier en mars 2023[1] et a publié une présentation de différentes pédagogies[2]: celles qui requièrent des travaux de groupes suscitent naturellement plus de bruit, mais c’est un bruit lié à l’apprentissage, la parole y est encadrée. Et ces pédagogies – choisies par l’enseignant – ne se fondent pas sur ces bavardages permanents que certains prétendent nécessaires.
Le « bruit pédagogique » est de plus en plus invoqué par les inspecteurs et l’INSPE. L’est-il parce qu’obtenir le silence relève de plus en plus de la gageure ? On n’ose le penser…
Il n’empêche : dans une enquête de 2022, 93% des enseignants interrogés déclarent ressentir de la fatigue à cause du bruit de leurs classes. « Bruit pédagogique » ? On se réjouit que la pédagogie ait cours dans les couloirs, puisque 69% des enseignants sont aussi gênés par le bruit qui y règne[3].
Mais laissons les enseignants à leurs plaintes incessantes, et tournons-nous vers les élèves eux-mêmes : les résultats du PISA 2012 révèlent que presque un élève français sur deux pense que les classes ne sont pas propices à l’apprentissage parce qu’il y a du bruit et de l’agitation. Notre pays fait ici l’un des pires résultats sur les 65 pays membres et partenaires de l’OCDE où l’enquête a été menée[4].
L’OCDE avait déjà candidement noté que « les interruptions de cours perturbent la concentration des élèves et leur engagement en classe. » et que « [les élèves] qui déclarent que leurs cours (…) sont souvent interrompus obtiennent de moins bons résultats que ceux qui ne signalent que peu d’interruptions des cours, voire aucune. » [5]
À défaut d’écouter les enseignants, peut-être qu’on écoutera un jour l’OCDE ou les scientifiques qui dénoncent le bruit à l’école[6] ?
D’ici-là, les enseignants continueront à faire leur métier dans le bruit…et à en subir les conséquences : le SNALC, qui ne cesse de dénoncer la quasi-inexistence de la médecine de prévention au sein de l’Éducation nationale, a déjà évoqué les problèmes de santé liés au bruit[7]. Mais il est à présager que, sur ce sujet, la réponse du ministère sera celle de Ted Nugent…
[1] https://snalc.fr/comment-faire-vivre-la-liberte-pedagogique/
[2] Tout ce que vous n’apprendrez (peut-être) pas à l’INSPE, Les éditions du SNALC, 2021, p. 63-122
[3] « Sondage OpinionWay pour Saint-Gobain-Ecophon et La Semaine du Son », 17 janvier 2022
[4] OCDE (2014), Résultats du PISA 2012 : Les clés de la réussite des établissements d’enseignement : Ressources, politiques et pratiques (Volume IV), PISA, Éditions OCDE, Paris.
[5] PISA à la loupe, OCDE, 2011/4 (mai)
[6] Voir notamment Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences à l’INSERM, Cerveau et silence, Flammarion, 2019
[7] https://snalc.fr/penibilite-le-bruit-source-de-fatigue-voire-de-souffrance/