Une dame élégante nous attend devant la salle de réunion. L’équipe d’allemand est au complet. Nous prenons place autour de la table ainsi que le proviseur et son adjoint. Le sujet de la réunion : l’évaluation des élèves.
L’inspectrice entre dans le vif du sujet en nous priant de parler de notre pratique d’évaluation. Un collègue se lance. Lui-même utilise les grilles « adossées » au CECRL (cadre européen commun de référence des langues) que nous octroie généreusement l’Éducation nationale, ainsi que le projet d’évaluation de l’établissement.
L’inspectrice est étonnée de l’élan et de la foi du collègue envers ces grilles. Que fait-il de la li-ber-té pé-da-go-gique. Le collègue, surpris (et nous avec), se tait.
C’est étonnant que le professeur, soumis en permanence à des injonctions de l’institution, se voie recommander une liberté, de quelque ordre soit-elle. Mais ici, entendons-nous bien, il s’agit de la liberté de surévaluer les élèves ainsi que le démontre la suite de la réunion. En effet, la grille propose une conversion en note chiffrée. L’inspectrice nous encourage à relativiser cette grille pour valoriser tout ce qui est valorisable chez l’élève. De toute façon, d’après elle, un élève qui fait des efforts ne peut pas avoir moins de 8 sur 20.
Et si un élève rend copie blanche ? L’inspectrice reste sans voix. Comment? On n’a pas réussi à motiver l’élève ? A-t-on vraiment tout mis en œuvre pour « susciter son désir » d’apprendre l’allemand ? Absolument tout ? Une collègue ajoute qu’un de ses élèves est aussi un aficionado de la copie blanche, et ce, malgré le fait qu’elle l’autorise à utiliser son cahier. L’inspectrice insiste : Qu’avez-vous mis en œuvre ? Sous-entendu : à quelle maltraitance germanopédagogique l’élève a-t-il été exposé pour en arriver à un traumatisme de cet ordre ?
Une collègue enchaîne sur la difficulté à faire réaliser des expressions écrites aux élèves qui ne soient pas préparées en amont et traduites automatiquement. L’inspectrice fait remarquer que l’utilisation de DeepL dénote une compétence maîtrisée par l’élève et avoue dans la foulée qu’elle se sert elle-même de la traduction automatique. Un ange passe.
Et puis, les élèves difficiles, elle connaît. Ne dispense-t-elle pas elle-même des cours en milieu carcéral ? Sincèrement nous aimerions tous savoir comment elle « suscite le désir » (une expression qu’elle affectionne) chez les détenus. Hélas, si les inspecteurs s’invitent volontiers dans nos cours, ils ne nous proposent jamais d’assister à la démonstration de leur propre pratique in situ.
Vers la fin de la réunion elle me sollicite et me demande de présenter ma façon d’évaluer les élèves. Je lui réponds que mes collègues ont déjà donné des réponses auxquelles je souscris. Mon manque de loquacité lui déplaît.
Malgré moi je me prends à penser aux tribunaux de l’ère soviétique et à la pratique de l’autocritique. S’agit-il d’une réunion pédagogique ou bien d’un tribunal ?