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Contractuels : savez-vous boucher les trous à la mode de chez nous ?

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Le SNALC a rencontré un enseignant contractuel, mis de coté pour des raisons obscures. Critique à l’égard de l’institution qu’il a pourtant servi infatigablement pendant plusieurs années, il s’est aimablement confié à l’un de nos syndicalistes. Nous l’appellerons Julien.

Julien, pouvez-vous en quelques mots présenter à nos lecteurs votre parcours ?

J’ai toujours été scolarisé dans le service public, et la vocation de mes professeurs de générations et de sensibilités différentes m’a inspiré. Je voulais faire ce métier pour rendre à la société ce que je lui dois. Après une licence et un Master 1, je me suis proposé comme professeur contractuel au rectorat de Strasbourg. Ils m’ont appelé, et je me suis retrouvé devant des élèves. Pendant plusieurs années, j’ai tout fait : collège, lycée, même un peu de lycée pro, et j’ai toujours eu des appréciations impeccables par les chefs d’établissement (à l’exception d’une qui est très connue pour poser problème). J’ai eu aussi des visites « conseil » – terme bien cynique – qui semblent avoir été satisfaisantes pour l’inspection, dans la mesure où l’on ne m’a jamais relevé de mes fonctions et toujours renouvelé d’année en année.

Pourquoi parlez-vous de cynisme ?

Parce que les rapports étaient en complet décalage avec l’entretien qui était courtois et constructif. Lorsque je lisais le compte-rendu, j’avais l’impression qu’on s’était trompé de personne : on ne relevait pas les points positifs évoqués pendant l’entretien ; en revanche, de nouveaux reproches apparaissaient, alors qu’ils n’avaient jamais été formulés. Pour résumer, ça laissait entendre que le cours était improvisé et que c’était le désordre en classe. Avec une posture semblable, un autre inspecteur m’avait reproché au contraire de manquer de mansuétude. Pourtant je maîtrisais la classe et j’avais fourni une bonne progression pédagogique, validée par les collègues de ma matière. Dans une boîte privée, si un cadre évalue son équipe de cette façon, il se décrédibilise auprès d’elle et de sa hiérarchie, et en général, il ne fait pas long feu…

Vous n’avez pas cherché à en savoir plus, ou à vous défendre ?

Mon principal m’avait laissé entendre que c’était la dernière chose à faire : je passerais pour un procédurier et un enquiquineur, un prof qui pose problème ; puis ce serait le placard, ou les missions dont personne ne veut. On peut éventuellement le faire quand on ne risque plus rien, c’est-à-dire quelques mois avant la retraite, m’ont dit des collègues. Je suis assez amer : « le corps non enseignant chargé d’apprendre à enseigner aux enseignants » passe, à mes yeux, pour une entité nuisible : des gens qui font leur métier de calomnier, de prendre des postures, et d’imposer des pédagogies inapplicables.

« si l’on veut avoir des enseignants motivés, il faut commencer par les respecter : respecter leur personne, respecter leur individualité et les traiter dignement, humainement ainsi que financièrement. »

Vous vous montrez sans complaisance avec les inspecteurs… Pourquoi jugez-vous ces pédagogies inapplicables ?

D’abord, j’ai l’impression que l’inspection veut formater les enseignants, gommer leur personnalité, leur façon de faire et ruiner tout esprit d’initiative. Selon eux, une pédagogie devrait s’appliquer sans tenir compte de la personnalité de l’enseignant ni de sa classe. Pourtant, le professeur est une personne, et non un NUMEN parmi d’autres.

Concernant la façon de faire apprendre, de nos jours, l’idée n’est plus de faire assimiler efficacement une notion mais d’être seulement conforme à une pédagogie en vogue, que la suivante détruira. L’idée n’est plus d’enseigner des choses précises, mais que les élèves, par de longs errements, se fassent une idée confuse de la chose… J’imagine le prof d’allemand faire deviner les déclinaisons ou le prof de maths faire deviner les fonctions affines ! Ce n’est pas impossible, mais à ce rythme, on bouclerait le programme en trois ou quatre ans !

J’ai toujours été curieux et ouvert, et j’ai essayé bien des choses : classe inversée, socio-constructivisme, îlots bonifiés, etc. Résultat : les élèves s’ennuient et n’apprennent rien. « Votre cours est ennuyeux, Monsieur !  On n’a pas le goût de travailler. D’habitude, c’est intéressant… ». Je parle de mon expérience et je ne dis pas que mon fonctionnement doit être la règle.

Et puis, entre nous, ça me ferait beaucoup rigoler de voir ces gens de bon conseil, un vendredi, en dernière heure, face à une trentaine de collégiens surexcités. On verrait comment ils appliquent leurs grands principes, face à un public en recherche « d’autorité bienveillante » et de « dynamique positive »…

Avec l’expérience et le recul que vous avez, notamment en matière de pédagogie, pourquoi ne pas avoir passé le concours ?

Lorsque j’étais étudiant, mes anciens collègues de l’université me parlaient de la formation inappropriée à la réalité du terrain. Certains d’entre eux, pourtant très bien notés, ont vite démissionné. Et surtout, pour être honnête, je ne voulais pas aller dans une région de France où je n’aurais pas été à ma place : la liberté d’établissement et vivre près de mes proches ne sont pas négociables. Et enfin, à force d’exercer, j’ai vu que ce n’était pas le concours qui faisait l’enseignant : il m’est arrivé de remplacer des collègues ayant obtenu le label du CAPES, mais complètement à la ramasse. La progression pédagogique n’était ni faite ni à faire, et ma mission, me confiait le principal, était de « limiter la casse » et de « réparer les dégâts au maximum »… Mais j’ai remplacé une majorité de grands professionnels : c’est important de le dire !

Lorsque vous parlez de l’institution, selon vous, que faudrait-il faire ?

Je vais sûrement choquer : une révolution de palais suivie d’une révolution culturelle.

Selon moi, à Strasbourg, changer les recteurs en conservant l’équipe de pilotage ne sert à rien. Dans cet entourage, des gens malveillants ou incompétents gardent leur place et continuent de nuire à  l’institution. Qu’il s’agisse du pilotage de l’académie ou de l’inspection, il faut que ces gens aussi rendent des comptes lorsqu’ils dysfonctionnent à ce point. De tels changements aboliraient un système malsain de courtisanerie, et de management par la terreur.

Je ne veux pas ici faire du populisme ou de la récupération ; mais si l’on veut avoir des enseignants motivés, il faut commencer par les respecter : respecter leur personne, respecter leur individualité et les traiter dignement, humainement ainsi que financièrement. Cela suscitera des vocations. Tout le reste est littérature…

Pourquoi n’êtes-vous actuellement plus devant les élèves ?

J’aimerais pouvoir vous répondre ; certainement pas par choix, en tout cas, alors qu’il y a beaucoup de postes vacants dans ma matière. Sans emploi, j’ai appelé la DPE. On me disait qu’il n’y avait rien, puis enfin, que ma candidature n’intéressait plus les inspecteurs. Je me demande encore pourquoi : aucune faute professionnelle, des appréciations impeccables, des rapports de visites ne constatant aucune insuffisance… Mon seul tort, je pense, est d’avoir refusé un poste qui ne correspondait pas à ma matière et qui aurait nécessité une formation. Et après avoir eu la principale au téléphone, ça sentait vraiment le traquenard. Avec le recul, je me dis que c’était sûrement un plan pour me mettre en difficulté, m’inspecter, et se débarrasser de moi. Cela aurait évité de me proposer un CDI.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce poste ?

Je préfère rester discret, mais pour résumer, c’est comme si l’on proposait à un prof de chimie de devenir prof de pâtisserie en lycée pro, en prétextant que la pâtisserie n’est rien d’autre que de la chimie appliquée… Je vous laisse imaginer la situation. Un ancien collègue m’a même dit : « rendu à ce stade, ça s’appelle de la démence ! ».

« Le contribuable que je suis est révolté : à l’heure où le ministre des finances parle de réaliser des économies, on a des heures de cours créditées mais non pourvues, des classes sans professeurs et des professeurs sans élèves. Je suis actuellement indemnisé par France travail ; en d’autres termes, payé à ne rien faire. La belle économie ! »

Comment ressentez-vous cette mise à l’écart ?

Je suis en colère et  je vis cela comme une injustice ! Le plus injuste est que des amis contractuels, dans d’autres rectorats, n’ont jamais eu ces difficultés. Certains sont même en CDI depuis. Je ne pense pas que le problème vienne de moi car différents collègues ont toujours trouvé mes séquences très bonnes.

Ma situation  est d’autant plus injuste que cette façon ingrate et méprisable de traiter des personnes laisse penser que nous sommes inégaux selon l’endroit où nous vivons sur le territoire. C’est triste et scandaleux de la part d’une école qui se prétend universaliste et républicaine.

Le contribuable que je suis est révolté : à l’heure où le ministre des finances parle de réaliser des économies, on a des heures de cours créditées mais non pourvues, des classes sans professeurs et des professeurs sans élèves. Je suis actuellement indemnisé par France travail ; en d’autres termes, payé à ne rien faire. La belle économie !

J’ai l’impression d’avoir servi de bouche-trou et qu’un contractuel est un jouet que l’on sort au gré de ses fantaisies. Le rectorat de Strasbourg semble avoir oublié que nous avons le droit au respect. Lorsque ce même rectorat se situe dans la ville de la Cour européenne des droits de l’Homme, c’est encore plus indigne.

Le SNALC suivra de près la situation de Julien et l’accompagnera pour faire valoir ses droits.

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