Devenir Enseignant : Une Reconversion (dés)enchantée
Dans le cadre de sa démarche de proximité, le SNALC se rend régulièrement dans les écoles et à l’INSPE pour échanger avec les collègues.
C’est également l’occasion pour le SNALC d’y retrouver ses adhérents, dont certains professeurs des écoles, nouvellement nommés dans la communauté éducative de l’Education Nationale, suite à une reconversion professionnelle.
Alors que les démissions d’enseignants augmentent, le SNALC observe à contrario une augmentation des cas de reconversions parmi les nouveaux PE.
Il est de fait que la pandémie est un accélérateur des reconversions professionnelles. Depuis le premier confinement, de nombreux français se sont questionnés sur leur vie, leurs aspirations et leurs attentes. En quête de sens, de stabilité et d’épanouissement professionnel, certains ont subséquemment franchi le pas. Ils ont ainsi quitté leur emploi plutôt confortable (comptable, urbaniste, sociologue…) pour changer complètement de voie et devenir enseignant.
Malgré une rémunération peu attractive (dénoncée par le SNALC), leurs motivations présentent des similarités : la polyvalence du métier, le sens retrouvé du travail, la volonté d’être utile : les missions de transmission du savoir et la formation des futurs citoyens. Au-delà de cela, la possibilité peut-être de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle en bénéficiant des vacances scolaires, des mercredis…
Le métier d’enseignant s’est longtemps inscrit dans l’imaginaire collectif comme “le métier le plus beau du monde”. Pour un grand nombre, l’exercer a été un rêve d’enfant. Cependant la profession dans toutes ses dimensions s’est altérée ces dernières décennies. Le SNALC constate que les reconvertis, malgré toute leur motivation et leur bonne volonté, vivent leur prise de fonctions comme un véritable choc entre l’idée qu’ils avaient du métier et la réalité du terrain. Ce choc est souvent vécu comme une épreuve très difficile en raison de nombreuses désillusions.
Le SNALC dénonce les conditions extrêmement difficiles d’entrée dans le métier d’enseignant. L’acclimatation est rude ; elle l’est d’autant plus durant cette période de crise sanitaire.
La familiarisation avec l’école, son jargon et ses codes, l’appropriation des concepts pédagogiques et didactiques constituent en eux-même un challenge de taille pour ces collègues issus de milieux professionnels aux antipodes.
A cela s’ajoute de nombreuses problématiques que ces nouveaux entrants dans la profession n’avaient peut être pas anticipé. Le SNALC recueille régulièrement des témoignages consternants, et accompagne les collègues dans leurs difficultés.
Témoignage recueilli :
“Alors c’est plutôt compliqué. Le boulot en soi ça va. J’adore être avec les enfants. Ca demande beaucoup de travail, je suis loin d’être parfaite dans mon organisation et sûrement dans ce que je propose mais je pense que c’est normal. Par contre tous les à côtés sont déprimants et démotivants. »
Ces “à côtés” constituent une liste malheureusement longue, facteur de stress et de découragement.
Ce que dénonce le SNALC :
– Une formation initiale trop théorique et un accompagnement palliatif
Malgré la réforme de la formation initiale des professeurs à l’INSPE, les cours dispensés sont parfois jugés trop chargés, trop théoriques et déconnectés de la réalité du terrain. Les collègues ont parfois le sentiment d’y perdre leur temps. Ils profitent des cours pour effectuer leurs préparations et/ou corrections. Ils souhaiteraient que des sujets clés, tels que la gestion de la classe par exemple, soient abordés et que de véritables outils leurs soient donnés. L’accompagnement proposé (3 visites du tuteur) est jugé insuffisant. Dans certains cas infortunés, le tutorat s’avère conflictuel et déstabilisant. Le SNALC suit d’ailleurs régulièrement des collègues concernés.
Témoignage recueilli :
“La confrontation au réel est assez violente, sentiment de déconnexion entre les cours ESPE et le vécu sur le terrain. Mes meilleurs temps de formation, beaucoup trop rares, étaient ceux pratiqués en classe chez ma tutrice”
“Il n’y a que la pratique et l’observation qui permettent vraiment de s’améliorer je trouve… La formation initiale, sur ce point, n’est pas à la hauteur. L’idéal serait d’être en classe pendant un an avec un autre enseignant plus expérimenté, d’avoir un véritable tutorat.”
– Des écoles qui ne font pas rêver ainsi qu’un manque de moyen criant
La prise de fonction implique une affectation au petit bonheur la chance. Si on est proche de son domicile on peut s’estimer heureux. De nombreuses écoles, notamment dans l’Eurométropole de Strasbourg, sont en piteux état. Le SNALC l’a déjà évoqué dans un précédent article. Ainsi ces reconvertis sont parfois déçus à leur arrivée dans des locaux peu accueillants, parfois dans un état déplorable. Un exemple : une collègue a récemment rapporté au SNALC qu’il a été impossible de faire classe cet hiver car le chauffage ne fonctionnait pas dans son école maternelle ! Les enfants ont du être renvoyés dans leurs familles.
Les nouveaux entrants sont aussi désillusionnés par le manque de moyens dans les écoles. Si l’équipe est sympa, les nouveaux venus sont mis dans des classes pas “trop moches”, et on leur laisse “quelques puzzles sur les étagères”… mais généralement le matériel est si précieux qu’il n’est pas partagé. Les faibles moyens restreignent les projets pédagogiques, il faut revoir à la baisse ce qui avait été imaginé ou alors tirer quelques billets de son propre porte-monnaie pour se procurer le nécessaire à sa concrétisation. “J’achète avec mes propres moyens les ingrédients pour faire chaque mois les gâteaux d’anniversaire, ou le matériel pour les bricolages des fêtes”. Il n’est pas rare de trouver des enseignants dans les brocantes, les bourses de puériculture pour équiper leurs classes et fournir à leurs élèves des jeux et des livres ; ou même en ligne pour quémander du matériel (voir ci-dessous). C’est inadmissible !
Témoignage recueilli :
“j’ai pu constater les grandes inégalités qui pouvait y avoir d’une école à l’autre. Dans mon école en REP nous sommes assez bien dotés, à l’école d’à côté en REP + c’est catastrophique (tableau à craies, pas d’équipement numérique…) Au début, durant mon année de titularisation, j’ai beaucoup utilisé mon argent perso. pour le matériel, pour pouvoir mener à bien des projets un peu plus ambitieux que ce que je pouvais réellement faire avec les moyens à ma disposition. Mais j’ai très vite arrêté car cela n’a pas de sens au regard de notre salaire !!! Je fais donc avec ce que j’ai… J’ai vite compris qu’il n’est pas impossible d’avoir plus de moyens dans le cadre de projets, mais que cela demande de faire énormément de démarches administratives, de paperasses en tout genre et qu’il faut sans cesse se justifier pour quelques centaines d’euros… Cet aspect là est assez décourageant, je l’avoue.«
– Un sentiment de solitude, un manque de soutien et de reconnaissance
Malgré le fait d’intégrer une équipe pédagogique, les reconvertis qui avaient l’habitude de cotoyer régulièrement un autre milieu professionnel basé sur des relations hiérarchiques, sont frappés par la solitude du métier. Des impressions étranges co-existent, l’enseignant n’est jamais seul car entouré d’élèves, pourtant un sentiment de solitude s’installe.
Nos nouveaux collègues ont choisi ce métier pour jouir de la liberté pédagogique et d’une certaine indépendance. Ils se retrouvent tout à coup seuls maîtres à bord. Cette situation peut être déconcertante. Les jeunes collègues ont besoin de se sentir soutenus et reconnus. Malheureusement beaucoup de ces collègues ne l’éprouvent pas au sein de l’école, que ce soit de la part des parents, des collègues et même de l’administration. Les reconvertis souffrent de cet isolement, de ce manque de communication entre acteurs, voilà pourquoi le SNALC intervient.
Témoignage recueilli :
“Je demandais de l’aide à mes collègues mais elles ne voulaient pas du tout partager. C’était chacun pour soi ! Naïvement j’ai fait appel à la CPC et on m’a tout de suite dit « attention tu vas les alerter, ils vont te fliquer, c’est jamais bon de demander de l’aide dans l’Education Nationale surtout l’année de ta titularisation… » J’ai trouvé ça horrible comme idée mais c’est assez représentatif de la défiance qui peut exister entre « le terrain » et le « bureau ». Ça participe beaucoup au sentiment de solitude que l’on peut ressentir. On ne se sent pas du tout soutenu au niveau hiérarchique, et face aux difficultés, si on n’a pas de collègues sympas, on ne sait pas vers qui se tourner.”
– Une gestion de classe difficile et une relation complexe avec les parents
Bien qu’ayant occupé des postes à responsabilité par le passé, gérer une classe d’une trentaine d’élèves génère stress et inquiétude chez les reconvertis. Certains sont sidérés de constater sur le terrain des réalités très éloignées des représentations qu’ils avaient.
“Sur quels élèves vais-je tomber cette année”. Voilà la question première que se posent les enseignants à la rentrée. La gestion de classe est une question prégnante dans le métier. Les élèves représentent une grande diversité de classes sociales et de milieux, de niveaux de connaissance et d’acquis. Certains affirment “on n’enseigne plus, on éduque”. Cette réalité constitue une difficulté qu’on accepte mais qui épuise. Les élèves sont placés au centre du système éducatif. L’autorité des enseignants est contestée, par les élèves mais également par les parents “consommateurs d’école”.
En effet,depuis quelques années, la communauté éducative, reflet de la société, connaît une judiciarisation inquiétante et croissante. Le SNALC constate la dégradation des rapports parents/professeurs. Le SNALC suit d’ailleurs plusieurs dossiers dans l’académie où dans un cadre conflictuel avec des enseignants, des parents n’hésitent pas à saisir la justice à leur encontre.
Ainsi les entrants dans le métier peuvent très vite être exposés à des relations conflictuelles et compliquées avec les familles. Ces rapports qui peuvent prendre l’allure d’affrontements (harcèlements, menaces de porter plainte, etc) déstabilisent les enseignants qui perdent leur légitimité, engendrent des angoisses et la perte de la confiance en soi… Le SNALC dénonce les personnels en position de hiérarchie qui restent mutiques face aux appels à l’aide de certains collègues.
Témoignage recueilli :
“La gestion de classe est très difficile. Le sentiment de ne pas être à la hauteur arrive vite dans ce métier. C’est sans doute un aspect que je n’avais pas en tête au moment de ma réorientation. Le manque d’expérience ne pardonne pas… On paye immédiatement…”
– Une vie professionnelle qui empiète sur la vie personnelle
Les nouveaux enseignants qui espéraient trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée déchantent. Si le temps de présence hebdomadaire est de 27 heures effectives à l’école, le temps de préparation est chronophage et empiète sur les week-ends, les mercredis et les vacances. La charge de travail est conséquente. L’enseignant emporte l’école jusqu’à son domicile.
Témoignage recueilli :
“Difficile de couper. Ce métier demande beaucoup de travail de préparation à la maison, le soir ou les weekends. Avec la crise sanitaire et les différents protocoles c’est pire que tout (répondre à des mails de parents tard le soir, tenir des listing d’élèves pour vérifier les tests, envoyer le travail aux élèves en isolement…) C’est difficile… Les personnes extérieures à l’EN ont souvent du mal à le comprendre. Tout ce temps de travail hors temps scolaire n’est pas reconnu.”
– Des avantages médiocres, découverte d’un système administratif
Le salaire d’enseignant n’est pas mirobolant, les reconvertis en étaient conscients (https://snalc.fr/remunerations-de-base-2020/). Par contre, ils s’étonnent de finir difficilement les fins de mois, et pour cause : 15 € de participation aux frais de mutuelle seulement lorsque les entreprises privées prennent en charge la moitié de la cotisation. Malgré la prise en charge partielle des frais de transport, le reste à charge peut être conséquent, notamment pour un abonnement de train, quand on travaille loin de son domicile situé dans un autre département.
Le manque de moyens de l’école en général nécessite de piocher dans son propre matériel, d’acheter de l’encre avec son argent personnel pour imprimer des documents (la prime informatique ne couvre pas les frais engagés).
Les collègues sont surpris lorsqu’ils découvrent le système administratif et les mouvements : changement d’école, et donc d’organisation de vie familiale, tous les 10 mois, absence de titularisation sur le poste, affectation ne tenant pas compte du lieu de vie, information tardive du nouveau lieu d’exercice. Cette organisation est très anxiogène pour les collègues qui doivent se réadapter à un autre lieu de travail, à d’autres collègues, à un autre niveau de classe, à une autre organisation de l’école. Le SNALC souhaiterait que l’administration titularise plus rapidement les PE sur des postes pérennes afin que les équipes soient stables et gagnent en efficience pour le bien-être de tous les acteurs de l’école.
Témoignage recueilli :
“Catastrophique. On ne fait clairement pas ce métier pour le salaire !!! Il y a les vacances… Mais avec le salaire misérable que l’on a, on ne peut pas non plus en profiter tant que ça… et souvent on travaille aussi pendant les vacances pour préparer la période suivante.
C’est un métier tellement exigeant, impliquant, pour un salaire dérisoire… ça ne motive pas du tout et c’est clairement un aspect qui me fait douter sur le fait de continuer.”
La liste des désillusions est longue. Il n’est donc pas étonnant, de trouver des “reconvertis” déjà épuisés au bout de quelques années en quête d’une nouvelle reconversion…