En septembre 2014, à l’occasion de mon arrivée au SNALC, j’exposais dans la Quinzaine universitaire les raisons qui m’avaient fait quitter FO. Écœuré par un syndicalisme politicien rongé par des luttes de pouvoir, où les mandats personnels et les statuts de l’organisation mobilisaient bien plus de temps et d’énergie que ceux qui auraient dû être consacrés aux personnels représentés, j’ai fait le choix du SNALC : c’était alors autant le choix de l’indépendance vis-à-vis des partis et réseaux d’influence quels qu’ils soient, que celui des principes qui devraient guider toute organisation se qualifiant de syndicat : la défense des intérêts des personnels, et non des intérêts personnels.
Cette défense doit être concrète sur le terrain, au plus près de ceux dont on protège les droits et les conditions de travail. En effet, les difficultés que vivent nos collègues dans l’exercice de leurs fonctions, au sein de leurs services et de leurs établissements, nécessitent de se rendre fréquemment sur place pour constater, plaider ou négocier : l’on découvre alors et l’on affronte parfois durement ce que sont ces réalités en termes de conditions de travail, de paupérisation, de pressions ou d’abus de pouvoir. Ce syndicalisme-là n’a évidemment rien à voir avec celui qui consiste à se gargariser en haut lieu et hautes instances de mots et palabres qui ont autant d’effet que les ritournelles d’une comptine rebattue.
Récemment, une enseignante expérimentée mais en conflit avec son inspectrice et convoquée à la DRH nous a appelés en désespoir de cause la veille au soir de son audience : son responsable syndical – à la tête d’une section dont la signature est pourtant la « FOrce de l’indépendance » – n’avait finalement pas souhaité l’accompagner au cours de cette convocation qui présentait manifestement les signes d’une exécution par la hiérarchie. Quelle sorte d’avocat se contenterait de prodiguer quelques conseils par téléphone pour la défense de son client – moyennant cotisation – mais refuserait de se rendre au procès pour éviter d’être en porte-à-faux avec le système judiciaire ? Quelle sorte de syndicalisme peut-on pratiquer en restant à l’abri au téléphone ou derrière un écran d’ordinateur ? Voire en ne quittant ce repaire que pour entretenir ses réseaux, conforter sa place et rencontrer ses pairs au cours de parlements stériles s’achevant de préférence autour d’une table généreusement dressée par les cotisations des adhérents ?
Ceux qui vous accompagneront jusqu’au bout, quels que soient les protagonistes, quelles que soient les conditions et les situations où vous vous trouvez, sont hélas rares. Car pour pouvoir pratiquer ce syndicalisme-là, il faut être avant tout indépendant. C’est cette indépendance qui confère l’audace, la liberté de ton et d’action. Ne percevant aucune subvention de l’État, à la différence des autres organisations représentatives, le SNALC n’a aucune appréhension à mordre la main qui ne le nourrit pas, dès lors que cette main manie plus souvent le bâton que la carotte.
Sur le plan pédagogique, le SNALC fait preuve de la même audace mordante. Face aux aberrations d’une ministre aux réformes destructrices, nous avons rédigé, imprimé et diffusé des outils pour rétablir l’excellence et l’efficacité de notre École républicaine : par exemple, des découpages annuels contre la confusion des nouveaux programmes de cycle, ou encore le moyen d’abroger de l’intérieur l’aberrante réforme du collège. Enfin, quand le précédent ministère refusait obstinément d’entendre la voix de plus de 80% des personnels mécontents, plutôt que de proposer de vaines grévettes d’un jour*, le SNALC a déposé un préavis pour la seule action qui inquiéta alors réellement le ministère : la grève de la correction des copies du brevet. « Le SNALC ne s’oppose pas de la bonne façon » avait alors déclaré la ministre en stigmatisant notre organisation au sein de l’intersyndicale. Que penser de syndicats dont les méthodes d’opposition auraient été préalablement approuvées par le ministère ?
Bien entendu, l’indépendance a un coût : le prix de la liberté. Pécuniaire d’abord : le SNALC ne peut financièrement compter que sur les adhésions des personnels qui lui ont fait confiance. Il n’a aucune autre ressource. C’est dire l’importance que nous accordons à ce geste et le soin que nous prenons de ceux qui nous soutiennent. Être indépendant, c’est aussi savoir juger par soi-même hors de toute forme de rumeur ou de préjugés, de dictats et de doxa ; c’est conserver son objectivité sur des réalités qui ont été sciemment masquées ou maquillées. Être indépendant et libre, c’est enfin renoncer à la tentation courante de privilégier un intérêt propre et indu : le sien bien entendu, celui d’un proche, camarade ou frère. C’est porter la parole collective dans les revendications, et non utiliser la voix du syndicat pour tenter de faire passer quelques mesures destinées à servir une nomenklatura déjà grassement nourrie. Être indépendant et libre, c’est être irréprochable.
Au SNALC, les militants les plus engagés et les plus efficaces sont aussi les plus désintéressés. Ils agissent par conviction profonde et adhésion à des valeurs humanistes et républicaines authentiques.
L’indépendance, pour le SNALC, n’est pas un vain mot ni un concept éculé. C’est ce qui fait que notre syndicat né en 1905 résiste à travers les décennies, les calomnies et les compromissions d’un système sous influence.
* Le budget de l’Etat prévoit chaque année une ligne de recettes « Grève des enseignants ». Ainsi 10% de grévistes parmi 850 000 enseignants à 60€ de retenue/jour, rapportent à l’État plus de 5 millions d’euros : de quoi financer la politique qu’il mène et contre laquelle on entend combattre. Source : Médiapart/Gavanon.
& Marie-Hélène Piquemal, vice-présidente