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Lauréate du CAPES malgré un mari atteint d’un cancer

Jacob Wackerhausen
© Jacob Wackerhausen

Billet d’humeur d’une lauréate du CAPES de 40 ans qui se bat pour pouvoir intégrer l’Education Nationale tout en continuant à accompagner son mari atteint d’un cancer

Je me désole sincèrement que l’Education Nationale, alors qu’elle se désespère du manque de professeurs et de la baisse du niveau des professeurs, fasse si peu d’efforts pour accueillir humainement celles et ceux qui veulent s’y engager. A 40 ans, on a construit des choses, on a choisi des engagements, on a des liens de responsabilités envers des personnes… qui font que l’on ne peut pas nous balancer n’importe où !

Je ne sais pas si vous avez une quelconque idée de ce que cela veut dire de vivre un cancer, de voir l’homme que vous aimez souffrir autant depuis des mois sans même savoir si cela sert à quelque chose, d’essayer de tenir dans l’espérance alors que vous êtes crevée de gérer toute l’organisation familiale toute seule, de garder la tête froide et de l’énergie pour les nécessaires aller&retours en urgence à l’hôpital au gré des effets secondaires intenables des chimios, de garder du temps pour écouter vos enfants et les accompagner sur leur propre chemin d’inquiétude et dans leur scolarité, de vérifier que les dossiers passent bien à la CPAM puis à la Mutuelle, gérer les ordonnances et les commandes à la pharmacie, le rythme des séances de chimios et l’angoisse des résultats d’IRM, tout en protégeant vos enfants pour les garder vivants quand même… et tout ça, en continuant à travailler parce que le logement de votre famille en dépend et qu’il faut bien vivre, et en préparant un concours censé vous faciliter les choses à l’avenir en vous mettant au rythme scolaire comme vos enfants.

Je ne sais même pas aujourd’hui comment j’ai réussi à tenir, tenir sans virer en burn out comme nombre de mes collègues actuels. Je sais, c’est certain, que j’aurais pu faire mieux à l’oral du concours…mais allez être sensible au comique de Plaute quand vous êtes sur la brèche depuis des mois ! J’ai fait ce que j’ai pu.

Lorsque j’ai passé les écrits à Strasbourg, mon mari venait de subir une opération chirurgicale de 4h avec 3 chirurgiens. Il sortait tout juste des soins intensifs… et je sais qu’il y aura au moins encore 3 autres opérations de ce type sur l’année scolaire 2024-2025 !

Depuis cette opération, je lui prodigue des soins quotidiens de 25 minutes environ chaque matin, qui doivent être faits environ 1h après son lever…

Avec deux jeunes enfants, un mari très malade et un ex-mari à Strasbourg, je pensais sincèrement que j’avais toutes mes chances, assez de points et d’arguments, pour rester dans l’Académie de Strasbourg…d’autant plus que mes collègues de Master d’il y a 20 ans ont été mises en stage sur Bouxwiller et Strasbourg puis titularisés à Hochfelden et Haguenau, soit très proche de leur lieu de vie, alors qu’elles étaient juste étudiantes et n’avaient pas d’engagement familial particulier !

Aujourd’hui, 20 ans après, quand on nous dit qu’il y a des postes vacants partout, et notamment en Lettres Classiques à Mertzwiller, soit à 20 minutes de mon lieu de vie, on ne veut pas entendre mes raisons légitimes et on veut me faire suivre des cours à plus de 2h de route de chez moi !!!

J’ai même décidé de tenter le CAPES externe pour maximiser mes chances, et de suivre des cours à l’INSPE de Strasbourg pour me mettre à jour en didactique et en connaissance des programmes, alors que mon expérience de vacataire à l’université me donnait a priori le droit de passer en interne ! J’ai consacré mes 5 pauvres petites semaines de congé à la préparation du concours : 3 pour suivre le stage massé du MEEF-Lettres 1ère année au lycée Heinrich de Nancy, et les 2 autres pour les épreuves écrites à Strasbourg et les épreuves orales à Angers !

Mais je ne fais que me heurter à l’intransigeance et l’inflexibilité d’un système inhumain…qui ne fait qu’alimenter la rancœur, la révolte et la destruction.

L’INSPE ne dispense-t-il pas une formation nationale, peu ou prou la même à Strasbourg et Nancy? A l’heure des échanges ERASMUS, où les universités se reconnaissent entre pays européens différents, qu’est-ce qui empêche qu’une formation suivie dans une Académie ne soit pas reconnue dans l’Académie voisine du même pays? 

Même en demandant un congé de solidarité d’un an, je ne pourrai pas vivre ensuite une année de stage en étant chaque jour à Nancy. Ce n’est tout simplement pas possible pour moi d’être autant absente et si loin, avec un mari très faible et deux enfants si jeunes.

Un cancer n’est pas un rhume. Dans un an, si mon mari est en rémission, il aura encore des rendez-vous réguliers pour le suivi et la prévention des récidives, et il est hors de question qu’il change d’équipe médicale…surtout avec la tension actuelle dans les hôpitaux et le manque de personnel de santé.

Je demande juste un peu de compréhension humaine !!!

L’Education Nationale a besoin de professeurs de Français.

Je suis titulaire d’un Master et d’un Doctorat universitaires.

Depuis des années, j’accompagne des jeunes et des familles dans le cadre de mes fonctions.

Il y a des postes à pourvoir dans l’Académie que je demande.

Je suis solide et motivée…mais pas indestructible ni infaillible !

Je ne comprends vraiment pas ce qui est tellement compliqué.

Je sais bien que l’on ne fait peut-être qu’appliquer le règlement, mais une loi qui n’est pas humaine ne sert pas la vie. Est-ce cela que nous voulons enseigner à nos enfants ?

Est-ce comme cela que nous voulons les faire grandir ?

Obéir sans réfléchir par soi-même, devenir des robots sans aucun sentiment humain ?

Juste appliquer le règlement… et considérer l’humain comme un pion isolé, qu’on peut déplacer pour les « nécessités de service », alors que ce sont nos relations qui font de nous des êtres vraiment humains, et que l’on ne peut bien servir personne si l’on nous rend incapables d’y mettre un peu de joie et d’amour !

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