Les poules ont de la chance : des gens vraiment bienveillants se sont penchés sur leurs conditions d’élevage et ont jugé qu’il fallait limiter les effets de la concentration des individus au mètre carré. Ils en ont fait une question de bien-être en montrant que la promiscuité induit un stress conséquent sur les animaux.
Mieux encore : les consommateurs qui achètent aujourd’hui des œufs de poules peuvent identifier les conditions d’élevage par un système de codage des œufs, sur une échelle allant de zéro à trois :
Catégorie | 0 | 1 | 2 | 3 |
Dénomination | « bio » | « plein air » | « au sol » | « en cage » |
Densité de population pour 1m2 de surface intérieure au sol* | 6 poules | 9 poules | 9 poules | 13 poules** |
% surface intérieure occupée*** | 36 % | 54 % | 54 % | 78 % |
*Espace intérieur uniquement. Les catégories 0 et 1 bénéficient en plus d’un espace extérieur (nous y reviendrons plus loin).
Source des directives européennes :
**En 3e catégorie, le seuil minimal légal d’occupation au sol est fixé à 750cm2 par animal pour une cage d’au moins 2m2. Ce type d’élevage, appelé aussi « en batterie », est jugé indigne des animaux, c’est pourquoi son interdiction est prévue pour 2022.
***Une poule (longueur = 30cm, largeur = 20cm) occupe, en théorie, une surface au sol de 0,06m2.
Au SNALC, nous nous sommes livrés au petit jeu des calculs et des comparaisons, en nous demandant quels seraient les labels que l’on attribuerait aux établissements si l’on appliquait les normes de l’élevage des poules pondeuses à la réalité des salles de classe.
Pourquoi cette comparaison avec les poules ? Par désir d’être entendus et compris du plus grand nombre : la poule a en effet l’avantage d’occuper une surface au sol équivalente à celle d’une feuille A4. Ce format sera peut-être plus éloquent auprès des comptables de notre ministère, qui disposeront ainsi d’une jauge familière à leurs yeux !
Élevage bio ? plein air ? au sol ? ou en batterie ?
Pour l’enseignement secondaire, on aurait les chiffres suivants :
Catégorie | Collège REP | Collège | Lycée |
Nombre prévu d’élèves* | 24 | 30 | 35 |
Surface intérieure fournie** | 40 m2 | 40 m2 | 40 m2 |
% surface occupée*** | 60 % | 75 % | 88 % |
*Chiffres communiqués lors de la réunion du Comité technique académique du 24/01/2019 à Strasbourg.
**Surface utile, n’incluant pas les issues (2 x 1 m2), bureau du professeur (env. 1 m2) et espace devant le tableau (env. 6 m2). Calculs effectués pour une salle de 8 m x 6 m.
***Un élève en classe, assis à sa table, avec sa veste sur son dossier de chaise et son sac posé à côté de lui, occupe en théorie une surface au sol de 1 m2. Certaines sources prévoient généreusement 1,25 m2 par élève, mais les documents qui attestaient de ces normes de construction ont été retirés des sites consultés. Nous avons donc choisi de retenir la solution réaliste, mesurée en condition d’exercice.
On constate que nos élèves ont des conditions de scolarisation qui les situent, comparativement à l’élevage des poules, légèrement en-dessous du niveau de l’élevage dit « au sol » dans les établissements REP et REP+ ; tandis que la scolarisation des autres collégiens et des lycéens correspond à des conditions d’élevage dit « en batterie », avec une carence plutôt criante en ce qui concerne les lycéens, très clairement entassés dans leurs salles de cours. De sorte que lorsque l’élevage des poules en batterie aura été supprimé, en 2022, nos élèves seront tous moins bien traités que des animaux dont on se soucie des conditions de vie ! Laissera-t-on dire qu’en France, les bêtes ont des droits que nos élèves n’ont pas ?
Pour que nos élèves bénéficient d’un traitement au moins équivalent à celui de l’élevage dit « au sol » des poules pondeuses, soit 54 % d’occupation de la surface au sol, il faudrait limiter les effectifs en fonction de la taille des salles. Pour une salle de 40 m2 de surface disponible, l’effectif ne devrait donc pas être supérieur à… 21 élèves. Bien des problèmes liés à la promiscuité seraient ainsi évités !
Inversement, les limites maximales arbitrairement fixées pour remplir les classes pourraient être conditionnées à la surface disponible des salles de cours :
Catégorie | REP | Collège | Lycée |
Nombre d’élèves max. | 24 | 30 | 35 |
Surface nécessaire* | 44 m2 | 55 m2 | 64 m2 |
*Surface à laquelle il conviendra d’ajouter les espaces fonctionnels incompressibles : deux issues, bureau du professeur, allée de passage devant le tableau, soit environ 9 m2.
On est très loin du compte !
Les cours de récréation
On peut continuer l’exercice en comparant les espaces extérieurs. Si chaque poule bénéficie de 2,5 m2 (normes européennes toujours à l’appui, pour le codage des œufs « bio » et de « plein air »), cela revient à dire que l’animal (dont la surface d’occupation du sol correspond à celle d’une feuille A4, rappelons-le) occupe 2,4 % de l’espace qu’on lui offre. Pour un élève qui ne porte pas de sac, et que l’on peut placer dans un carré de 60 cm de côté lorsqu’il se tient debout, une surface d’occupation de 2,4% correspondrait à compter une cour de 14,4 m2 par individu. Il faudrait prévoir la taille d’un terrain de football de compétition internationale, soit 7 000 m2 (105 m x 68 m), pour accueillir dignement tous les élèves d’un établissement de taille ordinaire comptant 485 individus ! Dans la réalité que nous connaissons, nous sommes très éloignés de ces chiffres.
Le retour de la vieille antienne : moins d’élèves par classe
Alors certes, on peut avoir à cœur de tenir compte des spécificités du public auquel on s’adresse, de donner plus à ceux qui ont moins… Mais ce petit comparatif permet de montrer que ce qui est prétendument donné « en plus » à ceux qui ont moins n’est finalement que ce qu’on peut raisonnablement attendre pour travailler dans des conditions décentes. Pour le SNALC, la communication qui entoure les dotations des classes limitées à un effectif de 24 élèves (REP notamment) est trompeuse, dans la mesure où on fait croire qu’elle est généreuse – alors qu’en réalité elle est juste correcte. Par ailleurs, force est de constater que pour arriver à doter certains établissements de manière décente il faut réduire ailleurs les dépenses et entasser les élèves dans les salles de cours.
Il sera ensuite toujours plus simple de prétendre que si vous avez des difficultés à gérer votre classe de 35 élèves, c’est parce que vous avez un problème d’autorité /de pédagogie /de rayonnement (entourez la formule qui convient). La mise en cause du professeur coûte moins cher que la réduction du nombre d’élèves dans les classes, mais ce n’est évidemment pas une manière acceptable de régler la question !
Le SNALC attire l’attention sur les difficultés que pose un effectif trop chargé. Il préconise l’instauration de critères lisibles par tous qui permettraient de limiter les effets néfastes de la promiscuité que l’on impose aux élèves. À tous les niveaux, les interlocuteurs de l’Éducation nationale ont pris l’habitude de se débarrasser du problème en le réduisant à une simple question de sécurité des lieux publics : un chiffre d’accueil maximal d’individus détermine le nombre d’accès, les issues, la largeur des lieux de passage ; mais nulle règlementation ne prend en compte la question de la concentration humaine et ses effets sur le comportement des élèves dans les salles destinées à l’enseignement. Pourquoi cela ? C’est que l’on a bien compris qu’il y a vraiment un problème de fond qui nécessite des moyens conséquents pour y remédier : moins d’élèves par classe, cela fait davantage de salles et de professeurs à mobiliser. Faudra-t-il attendre que les poules aient des dents pour que les conditions de scolarisation de tous nos élèves s’améliorent enfin ?