Dans l’Éducation nationale, certaines formations à destination des enseignants frisent l’absurde, à commencer par celle portant sur les risques liés à l’amiante. Destinée aux collègues membres du CSA ou de la formation spécialisée (ex-CHSCT), elle illustre parfaitement le décalage entre bureaucratie et réalité de terrain. Que peuvent bien faire des enseignants démunis, face à une plaque de faux-plafond douteuse ? Rien, si ce n’est alerter une hiérarchie déjà engluée dans des procédures interminables.
LE SNALC réclame des formations dignes de ce nom, en rapport avec les préoccupations des enseignants.
Ces derniers sont contraints Ă suivre des modules creux, sous forme de PowerPoint, sans utilitĂ© concrète pour leur mĂ©tier. On y parle de mĂ©decine du travail, de mĂ©tiers du bĂ¢timent, liĂ©s aux travaux de rĂ©novation, de l’extraction de l’amiante, de DTA, de symptĂ´mes liĂ©s Ă une exposition prolongĂ©e, mais toutes ces affections ne cochent pas les cases standardisĂ©es des « tableaux » dĂ©diĂ©s aux maladies professionnelles de l’Éducation nationale, d’autant plus que ces symptĂ´mes apparaissent après 40 ans d’activitĂ© professionnelle dans des Ă©tablissements scolaires, parfois nombreux dans une carrière d’enseignant.
L’amiante, anciennement nommĂ© « asbeste », est un terme dĂ©signant certains minĂ©raux Ă texture fibreuse utilisĂ©s dans l’industrie, classĂ© comme substance cancĂ©rigène avĂ©rĂ©e pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1977. Au vu des preuves irrĂ©futables de sa dangerositĂ©, son usage a Ă©tĂ© totalement interdit en France au 1er janvier 1997, soit dix ans après le constat du CIRC. Il est donc indispensable de faire rĂ©aliser un diagnostic dans les bĂ¢timents construits avant le 1er juillet 1997 pour repĂ©rer les matĂ©riaux et produits amiantĂ©s prĂ©sents et Ă©valuer leur Ă©tat de conservation. Cependant, une majoritĂ© de matĂ©riaux amiantĂ©s prĂ©sents dans les bĂ¢timents, largement introduits dans les annĂ©es 60 Ă 80, sont encore en place aujourd’hui. Ils peuvent Ăªtre retrouvĂ©s dans les toitures en amiante-ciment, plaques de faux-plafonds, gaines de canalisations, enduits, dalles de sol en vinyle, joints d’étanchĂ©itĂ©, conduits de cheminĂ©e…
Les professeurs ayant enseigné dans ces conditions et donc exposés quotidiennement à l’amiante auront incontestablement des difficultés à prouver le lien de cause à effet entre l’exposition et le tableau clinique dûment constaté des années après.
La question de l’amiante est en effet l’une des plus graves que l’Observatoire national de la sĂ©curitĂ© ait eue Ă traiter et constitue par lĂ -mĂªme un enjeu de santĂ© public. L’Observatoire a Ă©tĂ© supprimĂ© selon la volontĂ© politique du Premier ministre ; Mr Blanquer, alors ministre de l’Education nationale, ne s’en est pas offusquĂ© outre mesure. En 2016, ce mĂªme Observatoire national de la sĂ©curitĂ© et de l’accessibilitĂ© des Ă©tablissements d’enseignement a menĂ© une enquĂªte, Ă la demande de l’Éducation Nationale. L’enquĂªte a portĂ© sur près de 20 000 Ă©tablissements, soit un tiers du total.
Parmi les établissements construits avant 1997, 80% des lycées professionnels, 77% des lycées généraux et technologiques, 73% des collèges et 38% des écoles contiennent de l’amiante.
Les écoles construites avant cette date (comme les écoles de type Pailleron, par exemple) doivent fournir un diagnostic qui permet de localiser la présence du matériau et de lister les travaux à réaliser.
Sur les Ă©tablissements concernĂ©s par cette enquĂªte, 5 847 ont reconnu ne pas avoir rĂ©alisĂ© le dossier technique amiante (DTA), soit plus du quart.
De plus, 70% affirmaient que le dernier contrĂ´le remontait Ă plus de trois ans, seuil au-delĂ duquel une actualisation doit Ăªtre faite.

Citons Ă ce propos la prĂ©sence d’amiante dans les locaux du lycĂ©e Jean Rostand de Strasbourg. En 2021, le rectorat avait rĂ©ussi Ă se procurer le DTA du bĂ¢timent A (23/11/2009), du gymnase (23/11/2009) et des bĂ¢timents C et D (13/01/1997 – flocage et calorifugeage). Sur ces documents, il est prĂ©cisĂ© qu’un DTA doit Ăªtre rĂ©alisĂ© avant dĂ©construction (voir photo). Au prĂ©alable, la mĂ©decine de prĂ©vention avait Ă©tĂ© saisie en aoĂ»t 2020 pour vĂ©rifier les conditions de travail dans les laboratoires du lycĂ©e qui ont fait l’objet de plusieurs signalements, depuis l’emmĂ©nagement dans les nouveaux bĂ¢timents en 2008, pour dĂ©faut de ventilation notamment. Des problèmes d’odeurs et de circulation possible de polluants entre le labo de maintenance et la serre seraient notamment Ă l’origine de troubles divers chez des Ă©lèves et des personnels, tels que dermatites irritatives, sĂ©cheresses oculaires et pharyngĂ©es, cĂ©phalĂ©es, rhinites et saignements de nez, symptĂ´mes disparaissant pendant les pĂ©riodes de congĂ©.
Le sujet est toujours d’actualitĂ©, nous en voulons pour preuve la prochaine mise en Å“uvre du plan d’action ministĂ©riel pour la prĂ©vention du risque amiante sur la pĂ©riode 2025-2027. Seront exploitĂ©e Ă cette fin les donnĂ©es relatives Ă la prĂ©vention du risque amiante issues du questionnaire annuel santĂ© et sĂ©curitĂ© au travail de la DGRH renseignĂ© par les acadĂ©mies, les rĂ©sultats de l’enquĂªte amiante 2024 dans les Ă©coles et les Ă©tablissements de la cellule du bĂ¢ti scolaire, les propositions formulĂ©es par les organisations syndicales dans le cadre des travaux de la formation spĂ©cialisĂ©e du CSA ministĂ©riel.
Il s’agit de savoir si ces bĂ¢timents frĂ©quentĂ©s rĂ©gulièrement par les Ă©lèves et les professeurs contiennent toujours de l’amiante et si ce matĂ©riau a pu se disperser, au lieu de rester cantonnĂ© dans les plafonds. Si la contamination est avĂ©rĂ©e, les personnels concernĂ©s pourront-ils rĂ©clamer des dommages et intĂ©rĂªts ? Il faut savoir qu’un retraitĂ© qui dĂ©clare un cancer, consĂ©cutif Ă une exposition pĂ©renne Ă l’amiante, pourra demander des comptes ; en effet, ce dernier conserve le statut de fonctionnaire, mĂªme Ă la retraite. La prĂ©sence d’amiante dans les Ă©tablissements construits avant 1997 est une vĂ©ritable bombe Ă retardement. Le Docteur Dominique Michel COURTOIS, PrĂ©sident de l’Association SOS Amiante, a alertĂ© l’opinion publique dès 2016 et a rĂ©clamĂ© des actions immĂ©diates de la part des collectivitĂ©s locales et dĂ©partementales (en charge de l’entretien des bĂ¢timents), de l’Éducation Nationale, mais aussi des instances gouvernementales.
Le SNALC saisit cette occasion pour alerter sur la pĂ©nurie de recrutement des mĂ©decins de prĂ©vention qui nuit gravement au dĂ©pistage des maladies professionnelles des agents exposĂ©s. Dans cette perspective, les membres des Ă©quipes pluridisciplinaires de mĂ©decine de prĂ©vention devront Ăªtre sensibilisĂ©s au risque amiante, ce que prĂ©voit le futur plan d’action ministĂ©riel. Par ailleurs, ces formations Ă l’adresse des enseignants relèvent davantage du rĂ©flexe administratif de protection que d’une vĂ©ritable prĂ©vention. Elles gaspillent un temps prĂ©cieux qui pourrait Ăªtre consacrĂ© soit Ă la pĂ©dagogie proprement dite, notre cÅ“ur de mĂ©tier, soit Ă la dĂ©pollution effective des lieux contaminĂ©s, au lieu de rassurer l’institution sur son respect des normes. Pour bon nombre d’entre nous, il s’agit d’un simulacre de sensibilisation, d’un Ă©cran de fumĂ©e pour Ă©viter d’agir en profondeur sur la vĂ©tustĂ© des bĂ¢timents. Une mascarade bien rodĂ©e, mais parfaitement stĂ©rile, en l’absence d’espèces sonnantes et trĂ©buchantes pour mettre en Å“uvre les mesures annoncĂ©es. Le rĂ©veil concernant cette question maintes fois Ă©voquĂ©e dans les mĂ©dias est bien tardif !
Le SNALC exige une vĂ©ritable rĂ©flexion sur la rĂ©novation du bĂ¢ti scolaire, mais aussi des actes (dĂ©samiantage des bĂ¢timents incriminĂ©s, isolation) pour le bien-Ăªtre et la santĂ© de tous.
