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Tous les coups sont permis… ou pas.

oupas oupas rect
© oupas oupas rect

Il prend des notes, son œil est attentif. On dit de lui qu’il est calme, posé, et sait faire preuve de diplomatie. Ces qualités le rendraient presque sympathique.
Il est encore jeune, et ressemble à son époque : son carburant, c’est le coca. Sa gourmandise, le macaron. Sa littérature, le best-seller d’une coach en développement personnel1.
Chemise sans cravate, jean et bottillons, il cultive l’ordinaire parmi ses semblables, mĂŞme genre, mĂŞme mode. L’allure est commune et dĂ©contractĂ©e. Elle rĂ©vèle des intentions plus qu’une fonction: un complet trois pièces classique aurait imposĂ© une distance de nature Ă  contrarier ses desseins.
Il n’est pas lĂ  depuis longtemps, mais il a su s’adapter vite. Souple comme un volubilis, il a appris l’art de s’enrouler autour des dĂ©sirs et attentes de sa hiĂ©rarchie, se plier Ă  ses ordres, jusqu’à Ă©pouser la forme des Ă©gos qui l’incarnent. Il en partage les idĂ©es, les avis, les dĂ©cisions. Ou pas. Peu importe, il s’agit d’abord de montrer patte blanche. D’une fidĂ©litĂ© canidĂ©e, il suit son chef partout oĂą la laisse le mène. Mais la laisse est courte pour qui a de si grandes ambitions.

Reflet d’une banalitĂ© rassurante, cultivant une apparente simplicitĂ©, c’est le clichĂ© du gendre parfait : il plaĂ®t Ă  la belle-mère autant qu’à ses fils. Dès lors, difficile d’entrevoir ce que recèle l’ombre de ce cadre.

La littĂ©rature (la vraie) regorge de chutes savoureuses : inattendues, parfois renversantes, elles donnent Ă  l’histoire une dimension nouvelle et surprenante. C’est ainsi que chez Dino Buzzatti par exemple, l’empathie que l’on cultivait pour un « pauvre petit garçon Â» injustement battu s’étrangle quand, Ă  la dernière ligne, une amie lance Ă  sa mère « Au revoir Madame Hitler ! Â»2.  C’est aussi parfois ainsi que du gendre parfait Ă©mergent des comportements de grand manipulateur.
Intrigué, parfois vexé de ne rien avoir décelé, on relit l’histoire, on se refait le film, à la recherche d’indices qui nous ont échappé, qui auraient pu nous mettre la puce à l’oreille.

Dans le service que dirige notre homme, voici la puce : Ă  l’exception de rares permanents, tous les agents, l’un après l’autre, pour des motifs divers, finissent par quitter le service. Il ne reste personne. MĂŞme les plus volontaires, les plus respectueux, les plus efficaces ont renoncĂ© face Ă  un comportement et des relations qu’ils qualifient de « toxiques Â».

Parmi les techniques qui permettent à un manipulateur de prendre l’ascendant sur ses victimes, le recours au détournement (autrement appelé gaslighting) est un grand classique de notre époque. Et n’oublions pas que notre homme en est le reflet. Dans son cas, cela consiste à provoquer et attendre. Il agite le chiffon rouge et vous laisse répondre avec agacement. Le jeu continue et vous montez dans les tours. Son but est de poursuivre l’attaque sur un ton faussement calme, par contraste avec le vôtre. Encore un planté de banderilles, l’estocade est proche. Et quand vous voyez rouge, il vous reproche à la cantonade de ne pas avoir de maîtrise, démontrant par là que vous êtes l’agresseur et non la victime.

MaĂ®tre dans son art – Ă  dĂ©faut de ses dossiers -, il aime avoir le contrĂ´le sur les personnes, l’organisation, le temps… Ă€ part le vendredi, Ă  l’heure oĂą sonne la fin de la partie et le retour inconditionnel vers le foyer chĂ©ri, le reste de la semaine, il rĂ©unit Ă  toute heure et sans limite les collaborateurs qu’il tient en otages de son ennui. Et de vanter ensuite « les nombreuses soirĂ©es passĂ©es ensemble Â». Sans doute de l’ironie, du mĂ©pris… – Ou pas, rĂ©pondrait-il encore.

Il n’en manque pourtant pas. Pour qui se prend-on quand on s’obstine Ă  dĂ©placer tout un service en dĂ©pit des recommandations ? Que peut-on avoir en tĂŞte lorsque l’on s’acharne, envers et contre toutes les alertes, Ă  placer l’accès des personnes en fauteuil dans la partie la plus inaccessible d’un bâtiment, leur imposant de tirer trois portes lourdes et d’attendre qu’elles se referment pour accĂ©der Ă  la suivante, les mettant au dĂ©fi de ne pas se prendre les roues dans un tapis, le tout en cherchant un interrupteur dans le noir faute d’éclairage automatique ? Est-ce une Ă©preuve d’endurance, un parcours d’obstacles destinĂ© lĂ  aussi Ă  les faire renoncer ? Â« Ou pas Â» ?

Certains ont essayĂ© d’alerter, de signaler, d’expliquer… et ont Ă©tĂ© Ă©vincĂ©s. Au placard ! Pour eux aussi, obscuritĂ© et porte fermĂ©e, parfois claquĂ©e au nez. Ici, comme souvent ailleurs et particulièrement dans ce genre de service, on vient pour sa carrière. Et une chose est sure, on avance plus vite quand il n’y a #PasDeVague. Ou pas. On peut aussi tomber sur un os. Et quand cet os s’appelle le SNALC, mĂŞme les dents les plus longues se font raboter.


[1] « Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une », RaphaĂ«lle Giordano, Pocket 2017
[2] Pauvre petit garçon ! dans « Le K », recueil de nouvelles de Dino Buzzati, 1966. Lire une version condensée.

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